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La nouvelle précarité
par Ilhame Radid
06 29, 2016 | dans Expertise, Non classé, Politiques publiques | 0 Commentaires
Les sciences sociales ont défini la précarité comme l’état de forte incertitude de récupérer ou de conserver une situation correcte à l’avenir, pour un individu. L’Etat français précise un peu cette définition trop large en nommant précarité toute « absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux ». Elle peut conduire à la pauvreté, à l’insécurité, ou encore la marginalisation sociale.
Toutes les études récentes le montrent, la pauvreté est un phénomène multidimensionnel complexe, qui s’étend à de nouvelles catégories de populations et se manifeste sous des formes renouvelées. Aussi son étude nécessite-t-elle également la mise en place de moyens adaptés à ses évolutions.
Un phénomène jeune mais important
Les derniers chiffres de l’INSEE, en 2015, établissaient le nombre de salariés précaires en France à plus de 3 millions de personnes, soit un peu plus de 13% du nombre total de salariés, qui s’élève à 23 millions. C’est donc un phénomène dont l’importance implique qu’il faille être en mesure d’en comprendre les dynamiques. L’une d’entre elles occupe un nombre de plus en plus importants de recherches : la nouvelle précarité.
La nouvelle précarité est distincte de la précarité issue des milieux populaires en ce qu’elle concerne les métiers intellectuels, qui choisissent cet état pour gagner en autonomie. Le sociologue Patrick Cingolani établit cette distinction dans son livre, Révolutions Précaires, et explique que ces nouveaux précaires « aspirent à trouver dans le travail un place pour la créativité et l’expressivité ». Cela implique ce qu’il nomme un « sous-salariat chronique », résultat de modes de vie qui ne plaisent plus, puisque trop standardisés. La particularité de cette nouvelle précarité se trouve donc dans la dynamique du choix ; il est aujourd’hui possible de se revendiquer précaire, dans une perspective méliorative.
La perspective de nouvelles inégalités
Outre ce constat, la conséquence à retenir est la suivante : la nouvelle précarité créé de nouvelles inégalités, entre les précaires eux-mêmes. En effet, les conditions de vie des précaires issus des classes populaires sont largement inférieures aux conditions de vie des précaires issus des classes moyennes intellectuelles. Les seconds sont beaucoup plus appuyés par leur patrimoine, ou par des aides familiales, tandis que les premiers sont plus simplement exposés aux conditions qui qualifient aujourd’hui la pauvreté (niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté estimé en moyenne à 900 euros mensuels).
La nouvelle précarité étant un phénomène qui dépasse les logiques économiques et qui correspond plus volontiers à des dynamiques philosophiques et sociologiques – puisqu’elle est motivée par la conviction qu’il faut éviter de faire partie du système standardisé –, l’objectif ne doit pas être de l’éviter. Il faut cependant prendre en compte son existence et la mesurer exactement pour être à même de bien distinguer la précarité subie de la précarité choisie. Car l’une et l’autre n’ont pas les mêmes caractéristiques, ce qui implique que les solutions à apporter ne sont pas les mêmes. Il ne faut pas exercer une seule et même politique pour ces deux types de précarité, mais bel et bien les distinguer.
Distinctions et approches de la pauvreté
On parlera donc plus facilement de « pauvreté relative » ; faisant ainsi la distinction avec une pauvreté dite « absolue » fondée sur des besoins minimaux et des consommations incompressibles (besoins de première nécessité objectivement indispensables à la survie : consommation alimentaire, habillement…). On distinguera également différents qualificatifs de la pauvreté selon l’approche privilégiée pour son appréhension.
La pauvreté monétaire : est considérée comme pauvre la personne dont les ressources sont inférieures à un certain seuil de revenus ;
La pauvreté “en conditions de vie” : sont pris en considération des manques de nature “existentielle” et/ou “matérielle” (alimentation, vêtement, chauffage, logement…) ainsi que des manques de nature “sociale” et/ou “relationnelle” (vis-à-vis de l’emploi, des loisirs, de la famille, des divers liens familiaux, amicaux, sociaux, etc.) ;
La pauvreté “administrative”, ou “reconnue” : sont ici considérées pour rendre compte de la population pauvre les personnes bénéficiaires d’aides sociales, particulièrement de minima sociaux (ex : RMI, AAH, ASS, etc.). Il s’agit d’une pauvreté que, d’une certaine manière, l’administration reconnaît à travers l’attribution d’un statut et le versement d’un revenu de redistribution.
Selon Georg Simmel (1858-1918), sociologue allemand, « le fait que quelqu’un soit pauvre ne signifie pas encore qu’il appartienne à la catégorie des “pauvres”. Il peut être un pauvre commerçant, un pauvre artiste, ou un pauvre employé, mais il reste situé dans une catégorie définie par une activité spécifique et une position (…). C’est à partir du moment où ils sont assistés, peut-être même lorsque leur situation pourrait normalement donner droit à l’assistance même si elle n’a pas encore été octroyée, qu’ils deviennent partie d’un groupe caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne reste pas unifié par l’interaction entre ses membres, mais par l’attitude collective que la société comme totalité adopte à son égard (…). Les pauvres en tant que catégorie sociale ne sont pas ceux qui souffrent de manques ou de privations spécifiques mais ceux qui reçoivent assistance ou devraient la recevoir selon les normes sociales » (1908).
La pauvreté “subjective” ou “ressentie” : au-delà d’éléments concrets de mesure de la pauvreté, il est possible d’interroger les personnes sur la perception qu’ils ont de leur position dans une structure sociale donnée, du niveau de vie en dessous duquel ils se considéreraient comme pauvres, du risque de pauvreté qu’ils pensent encourir pour eux-mêmes ou pour leurs proches, mais aussi sur les difficultés financières qu’ils rencontrent et leurs conditions de vie.
La pauvreté “transitoire” : ici l’approche à partir des ressources monétaires ou des conditions de vie doit s’apprécier à partir de la plus ou moins grande permanence dans l’état de pauvreté. Cette approche nécessitant des méthodes de suivi individuel est encore peu exploitée du fait de la lourdeur du type d’enquêtes à mettre en œuvre (suivi de cohortes). Il est cependant important de différencier les pauvres “permanents” et ceux qui le sont de manière transitoire (comme les étudiants par exemple). Cette approche est susceptible de modifier les politiques et programmes, du fait des différences de traitement qu’impliquent des pauvretés structurelles et transitoires.
Ces différentes approches ne s’opposent pas, elles sont complémentaires et parfois même s’influencent mutuellement. Elles doivent être articulées pour permettre une vision, sinon globale, en tout cas multidimensionnelle.
La nécessité d’une approche exacte des nouveaux précaires par les collectivités locales
Pour cela, il convient pour les collectivités locales de mener les enquêtes appropriées pour évaluer de la manière la plus juste possible le taux de nouvelle précarité. Il s’agira ensuite d’ajuster les politiques pour qu’elles épousent s’adaptent au nombre de précaires qui subissent leur situation. Savoir évaluer le nombre exact, c’est en fait une façon de permettre des dépenses éventuellement plus importantes pour les individus concernés. L’idée n’est pas de dire que les nouveaux précaires méritent des aides moins importantes que ceux qu’on pourrait appeler les « vrais » précaires. Simplement, les inégalités entre les deux jouent en défaveur des seconds, qui doivent alors être la priorité. L’objectif n’est donc pas de dépenser moins, mais de dépenser autant de façon plus ciblée.
Des études précises, s’il le faut au cas par cas, par l’intermédiaire de questionnaires adressés aux populations locales, sont donc nécessaires à l’établissement d’une politique juste et efficace, qui permette en outre d’optimiser les dépenses publiques.
Mots-clés: inégalités, nouvelle précarité, précarité
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